Dérivant du grec ancien et signifiant littéralement « fabrication de mots », l’onomatopée est une méthode particulière qui permet de traduire un son non verbalisé. Elle permet d’exprimer une vaste gamme de bruits, que ce soient des sons émis par des animaux tels que « miaou » pour le chat ou « ouaf » pour le chien, ou encore des sons issus de l’environnement comme « tic-tac » pour l’horloge qui égrène le temps, ou « splash » pour évoquer le bruit d’un objet tombant dans l’eau. Que ce soit dans nos conversations de tous les jours, l’argot, ou dans des domaines créatifs tels que la bande dessinée, les onomatopées jouent un rôle essentiel dans la façon dont nous exprimons et percevons notre monde sonore. Zoom sur le sujet.
La délicate taxonomie des onomatopées
L’onomatopée, avec ses particularités distinctives, offre une série de dilemmes lors de son intégration dans les structures conventionnelles de la linguistique. Un grand nombre d’entre elles ont trouvé refuge dans les dictionnaires, obtenant ainsi une légitimité formelle en tant que constituantes valides du langage. Cependant, une part significative de ces représentations sonores reste fortement liée au contexte, émerge de façon sporadique, ou est même souvent tributaire d’un certain humour complice pour déployer leur pleine signification.
Ces traits, en raison de leur caractère éphémère et subjectif, peuvent donner l’impression que les onomatopées déjouent le cadre rigide d’une analyse linguistique traditionnelle. Il est donc parfois ardu de leur assigner un rôle précis dans les débats académiques sur la langue.
Cependant, il est nécessaire de tenir compte d’une autre catégorie de mots : les idéophones. Souvent confondus avec les onomatopées, ils fonctionnent cependant de manière légèrement différente. Au lieu de simuler un son, les idéophones véhiculent une idée ou une notion au travers d’un son. Prenons l’exemple du mot « zigzag ». Il ne reproduit pas un bruit particulier, mais évoque l’idée d’un mouvement qui va d’un côté à l’autre de manière répétitive. Cette distinction est fondamentale pour appréhender la richesse et la variété de l’utilisation du son dans le langage.
Les onomatopées et l’évolution du langage
Certaines hypothèses avancent que les onomatopées, conjointement au langage gestuel, auraient pu être parmi les premières expressions de la capacité de communication linguistique de l’être humain. Les onomatopées constituent un sujet d’étude particulièrement fascinant en linguistique, puisque leur création est dictée par le système phonétique en usage dans les diverses régions du monde.
En Corée, par exemple, il existe un éventail impressionnant d’onomatopées qui assument aussi bien des fonctions verbales que nominales. Cette observation suggère que les onomatopées peuvent jouer un rôle déterminant dans la formation de mots dans diverses langues, mettant ainsi en lumière leur importance potentielle dans le développement linguistique à travers le globe.
L’onomatopée dans la bande dessinée
L’onomatopée occupe une place prépondérante dans le domaine de la bande dessinée, où de nombreux artistes ont su exploiter sa richesse et sa versatilité de manière innovante. Ces mots créés pour imiter des sons ont été transposés et transformés, offrant ainsi un spectre sonore vibrant et vivant à des récits par essence muets.
L’artiste belge Franquin, par exemple, est connu pour avoir repoussé les limites de la transcription sonore dans ses bandes dessinées. Il a employé des techniques typographiques audacieuses et expressives pour représenter divers sons, parfois de manière exagérée ou humoristique. En rendant visibles les sons de son univers, Franquin a réussi à conférer une dimension sonore à la bande dessinée, ajoutant une couche supplémentaire d’immersion pour le lecteur.
Plusieurs auteurs ont marqué leur œuvre par l’invention d’onomatopées totalement originales, illustrant ainsi la diversité créative que permet cette forme d’expression sonore. Par exemple, Bill Watterson, le créateur de la célèbre bande dessinée « Calvin et Hobbes », a fréquemment usé d’onomatopées inventives et expressives pour animer les aventures rocambolesques de son duo protagoniste. Ces créations linguistiques, allant bien au-delà de la simple imitation de bruits, contribuent à l’atmosphère unique et humoristique de son univers.
Un autre exemple serait celui de Hergé, le père du célèbre reporter Tintin. Hergé a largement utilisé des onomatopées pour souligner les actions et les bruits ambiants dans ses œuvres. Des expressions sonores comme « BLAM » pour une explosion ou « GRRR » pour un grondement ont été stylisées et intégrées dans l’art lui-même, ajoutant une dimension sonore à ses récits visuels.
Quant à l’artiste Jack Kirby, co-créateur de nombreux super-héros Marvel comme les Fantastic Four ou Thor, il est connu pour avoir introduit des onomatopées grandioses et dynamiques pour mettre en scène des combats épiques et des super-pouvoirs déchaînés. Des termes comme « KRAKKA-BOOM » ou « THOOM » ne représentent pas seulement des sons, mais suggèrent également la puissance et l’impact de ces scènes d’action.
Il est évident que l’onomatopée, bien au-delà de sa simple fonction mimétique, a été sublimée dans l’univers de la bande dessinée pour devenir un outil narratif à part entière, participant à la création d’une atmosphère, à l’expression d’émotions et à l’articulation d’actions, le tout dans une harmonie comique ou dramatique. L’onomatopée dans la bande dessinée est donc une démonstration parfaite de la manière dont le langage peut être remodelé et « réimaginé » pour enrichir l’expression artistique.
L’onomatopée : un outil de création de mots ?
L’onomatopée, bien que souvent négligée ou critiquée en tant que forme d’expression linguistique, joue un rôle crucial dans la création et la formation de mots dans de nombreuses langues. Elle contribue à l’évolution et à la richesse des lexiques en étant à l’origine de nombreux mots qui, avec le temps, deviennent couramment utilisés dans le langage quotidien.
Par exemple, en anglais, des mots comme « guzzle » (goinfrer), « whisper » (chuchoter), ou « buzz » (bourdonner) sont des dérivés d’onomatopées, illustrant des sons qui imitent l’action qu’ils décrivent. De même, dans la langue allemande, des mots tels que « klirren » (clinquer) et « zischen » (siffler) sont clairement basés sur les sons qu’ils représentent.
En Corée, également, les onomatopées et les mots similaires, appelés « eumoeo », sont utilisés pour décrire des actions, des émotions et des sentiments en plus des bruits et des sons. Par exemple, « 두근두근 » (dugeun-dugeun) est utilisé pour décrire le battement du cœur, que ce soit à cause de l’excitation, de la peur ou de l’amour.
Dans la culture maorie de Nouvelle-Zélande, les onomatopées sont également couramment utilisées pour exprimer des concepts abstraits. Par exemple, « kiri kiri » est utilisé pour décrire une sensation de démangeaison, et « ngae ngae » pour une odeur forte.
Au Japon, enfin, des images sonores sont utilisées pour représenter des phénomènes non verbaux ou des états psychiques.
L’universalité des onomatopées
Pour clore notre sujet, il est essentiel de souligner l’universalité apparente des onomatopées tout en étant conscient de leur variabilité interculturelle. En effet, bien que les onomatopées se retrouvent dans toutes les cultures, la façon dont elles sont utilisées et interprétées peut varier considérablement d’une région à l’autre.
Dans la bande dessinée occidentale, par exemple, les onomatopées jouent généralement un rôle crucial dans la représentation des bruits et des actions non verbales. Elles contribuent à donner vie à la trame narrative en fournissant un contexte sonore, qu’il s’agisse du « BAM » d’un coup de poing ou du « ZZZZ » d’un personnage qui dort.
Cependant, si l’on regarde vers l’Est, spécifiquement au Japon, l’utilisation des onomatopées devient encore plus complexe. Ici, les onomatopées peuvent non seulement reproduire des sons (giongo), mais elles peuvent aussi évoquer un état physique ou émotionnel (gitaigo). Cette particularité de la langue japonaise offre une palette sonore beaucoup plus étendue et nuancée, capable de transcrire non seulement le monde externe, mais aussi l’état interne d’un personnage. De plus, la langue japonaise fait la distinction entre le giongo, qui se réfère uniquement aux sons produits par des objets, et le giseigo, qui est dédié aux sons produits par les êtres humains et les animaux.
Ces différences culturelles mettent en lumière la richesse et la complexité de l’utilisation des onomatopées dans les langues du monde entier. Elles illustrent également à quel point les onomatopées sont profondément enracinées dans notre perception du monde et comment elles contribuent à façonner notre expérience de la réalité à travers le langage.
R.C.