Le louchébem est un langage argotique utilisé par les bouchers en France depuis plus de deux siècles. Cette langue secrète est utilisée pour communiquer entre les bouchers eux-mêmes, mais aussi avec leurs clients. Elle permet de discuter de la viande et des prix sans être compris des personnes autour d’eux.
Origines et histoire du louchébem
Le terme louchébem vient du mot verlan « boucher », inversé en « boulech ». C’est ainsi que les bouchers sont appelés « louchébems », terme qui s’est généralisé pour désigner tous ceux qui pratiquent cet argot.
L’origine exacte du louchébem est incertaine, mais il est probable que cette langue ait été créée par des bouchers qui cherchaient à communiquer entre eux de manière discrète. Le louchébem est devenu populaire au 19ème siècle, à une époque où les bouchers étaient nombreux et jouaient un rôle important dans la vie économique et sociale de la France.
D’autres métiers utilisent aussi ce type de langage et les boulangers utilisent par exemple le « rotwelsch » pour communiquer en secret, tandis que les charcutiers utilisent le « rigodon ». D’autres termes synonymes de « louchébem » incluent le « largonji » en Auvergne, le « gaga » en Normandie, ou encore le « camfranglais » utilisé dans les pays francophones d’Afrique de l’Ouest. Ces langues secrètes ont toutes en commun l’utilisation de termes codés et d’expressions imagées pour permettre aux membres d’un métier ou d’une communauté de communiquer en secret. Elles reflètent ainsi la richesse et la diversité de la langue française, ainsi que l’ingéniosité de ceux qui cherchent à protéger leur savoir-faire et leur culture.
Les caractéristiques du louchébem
Le louchébem est une langue argotique qui utilise des transformations de mots existants pour créer de nouveaux termes. Ainsi, le mot « viande » devient « dézingué » en louchébem, et le mot « côtelette » devient « cotcot ». Les transformations peuvent être assez simples, comme l’ajout de suffixes ou de préfixes, ou plus complexes, comme la substitution de lettres ou de syllabes.
Cet argot utilise également des expressions idiomatiques qui ne sont pas directement liées à la viande. Par exemple, l’expression « balancer les miches » signifie « vendre de la viande », tandis que « faire chauffer la baraque » signifie « ouvrir une boucherie ». Ces expressions donnent au louchébem un caractère humoristique et imagé, qui le rend encore plus difficile à comprendre pour les non-initiés.
Une vidéo de l’INA pour évoquer le louchébem :
Sur les expressions idiomatiques
Une expression idiomatique est une expression linguistique courante qui a une signification particulière qui ne peut être comprise qu’en connaissant son contexte culturel ou linguistique. Les expressions idiomatiques sont souvent des expressions figuratives qui n’ont pas de sens littéral, mais qui sont utilisées pour transmettre une idée, une émotion ou une opinion de manière imagée et concise. Les expressions idiomatiques sont un aspect important de la langue et de la culture, car elles reflètent souvent les valeurs, les croyances et les traditions d’un peuple ou d’une communauté linguistique. Les expressions idiomatiques (comme dans le cas du louchébem) peuvent varier considérablement d’une langue à l’autre, et même d’une région à l’autre au sein d’une même langue. Certaines expressions idiomatiques sont facilement compréhensibles, même pour ceux qui ne sont pas familiers avec la langue ou la culture en question. Par exemple, « faire la grasse matinée » est une expression courante en français qui signifie « rester au lit tard le matin » ou encore le « sauciflard » en louchébem que l’on voit un peu plus bas dans notre sujet. D’autres expressions idiomatiques, cependant, peuvent sembler très étranges ou même incompréhensibles pour ceux qui ne sont pas familiers avec leur contexte culturel.
Usage et évolution du louchébem
Le louchébem a été utilisé pendant des décennies par les bouchers pour communiquer entre eux, mais aussi avec leurs clients. Les clients qui comprenaient le louchébem pouvaient ainsi négocier les prix plus efficacement, ou obtenir des produits spéciaux qui n’étaient pas disponibles pour les clients ordinaires. Les bouchers qui maîtrisaient le louchébem étaient respectés par leurs collègues et leurs clients, car cette langue leur donnait une aura de mystère et de savoir-faire.
Cependant, le louchébem a perdu de son importance au fil du temps. De nos jours, la plupart des bouchers parlent simplement français avec leurs clients, et la plupart des clients ne connaissent pas l’existence du louchébem. Certaines expressions idiomatiques du louchébem ont cependant survécu et sont encore utilisées aujourd’hui, notamment par les bouchers qui cherchent à perpétuer la tradition.
Exemples de vocabulaire employé
Voici un exemple de vocabulaire en louchébem :
- Viande : Dézingué ;
- Côte de bœuf : Cotecot ;
- Steak : Tèque ;
- Foie : Feuillard ;
- Escalope : Escailloupe ;
- Rôti : Roton ;
- Saucisse : Sauciflard ;
- Hachis de viande : Hachifich ;
- Jambon : Jamón ;
- Chair à saucisse : Chaisso ;
- Charcuterie : Charcute ;
- Filet mignon : Filet à minches ;
- Gigot : Gigotin ;
- Langue : Langue de chat ;
- Tripes : Les bonbons ;
- Os à moelle : Os moulu ;
- Andouille : Andouillette
- Boudin noir : Boudin de plomb ;
- Rognon : Rognon d’évier ;
- Abats : La tripatte ;
- Foie gras : Foie de canard ;
- Lapin : Lapereau (celui que l’on a notamment dans le Potjevleesch).
Il est important de noter que ces termes ne sont pas toujours utilisés de manière cohérente ou universelle par tous les bouchers qui parlent le louchébem. En effet, chaque boucher peut avoir sa propre version du louchébem ou peut utiliser des termes différents selon sa région ou sa pratique professionnelle. Cependant, ces exemples donnent une idée des transformations de mots qui caractérisent le louchébem.
Le louchébem et plus généralement l’argot dans les arts
Le louchébem a inspiré de nombreux artistes au fil des ans, notamment des écrivains, des cinéastes et des musiciens. Cette langue secrète, avec son caractère humoristique et imagé, a captivé l’imagination de nombreux artistes, qui ont utilisé le louchébem dans leurs œuvres. Ainsi :
- Dans la littérature : Il a été utilisé dans la littérature française pour donner une touche d’authenticité et de réalisme à certains personnages, mais aussi pour créer un univers imagé et comique. Louis-Ferdinand Céline, l’un des écrivains les plus célèbres du XXe siècle, a utilisé le louchébem dans plusieurs de ses romans pour donner vie à ses personnages.Dans « La Mort à crédit », par exemple, Céline décrit un personnage nommé Bébert qui parle le louchébem avec aisance, ce qui le rend très populaire auprès des autres personnages. Bébert utilise des expressions idiomatiques du louchébem pour caractériser sa personnalité et son attitude, créant ainsi un personnage haut en couleur et très attachant.Georges Perec, quant à lui, a utilisé le louchébem dans son livre « La Vie mode d’emploi », dans lequel il décrit les habitants d’un immeuble parisien en utilisant des termes du louchébem. Les personnages du livre, qui appartiennent à des milieux différents, utilisent le louchébem pour se parler en secret, ou pour se moquer des autres personnages. Le louchébem a également été utilisé dans des œuvres plus récentes, comme le roman « Le Grand Meaulnes » d’Alain-Fournier, dans lequel les personnages utilisent le louchébem pour créer un univers mystérieux et poétique. Le louchébem est également utilisé dans le livre « La Petite Bijou » de Patrick Modiano, où le personnage principal utilise cette langue secrète pour communiquer avec son père. ;
- Au cinéma, le louchébem a été utilisé dans plusieurs films français pour créer un univers comique et mystérieux, et pour donner une touche d’authenticité à certains personnages. « Les Tontons flingueurs » est l’un des films les plus célèbres à utiliser le louchébem, mais il y en a beaucoup d’autres. Par exemple, dans « La Cité de la peur » d’Alain Berberian, le louchébem est utilisé pour créer une scène hilarante dans laquelle deux personnages essaient de commander de la viande dans un restaurant en utilisant le louchébem. Les deux personnages, qui ne maîtrisent pas très bien la langue, finissent par commander une quantité invraisemblable de viande, ce qui crée une confusion générale. Dans « Le Retour du grand blond » de Yves Robert, le personnage joué par Jean Rochefort utilise le louchébem pour communiquer avec son acolyte, joué par Mireille Darc. Cette scène, dans laquelle Rochefort parle le louchébem avec aisance et Darc ne comprend pas un mot, est l’un des moments les plus comiques du film. Le louchébem est également utilisé dans des films plus récents, comme « Le Grand Bain » de Gilles Lellouche, où les personnages parlent le louchébem pour se moquer des autres nageurs dans la piscine. Dans ce film, le louchébem est utilisé pour créer un univers comique et décalé, en accord avec l’humour du réalisateur ;
- En musique, le louchébem a été utilisé par plusieurs chanteurs français pour donner une dimension comique ou mystérieuse à leurs chansons. Renaud, un chanteur très populaire en France, a utilisé des expressions du louchébem dans plusieurs de ses chansons, notamment dans « C’est mon dernier bal » et « Les Bobos ». Dans cette dernière chanson, il utilise des termes comme « le gratteur de panse » pour désigner un musicien, ou encore « le planteur de râteau » pour désigner un jardinier, créant ainsi un univers imagé et humoristique. Serge Gainsbourg, quant à lui, a également utilisé des termes du louchébem dans certaines de ses chansons, comme « Initials B.B. » où il chante « Bébert, tu m’fais tourner la tête, t’as un sacré cœur, t’as un sacré bido, tu te l’mets sous l’bras comme une serviette » en utilisant les termes « bido » pour ventre et « serviette » pour fille. Dans sa chanson « Aux enfants de la chance », il utilise également le louchébem pour évoquer le monde de la nuit et des cabarets. Le louchébem a également inspiré des groupes de musique, comme Les Négresses Vertes qui ont utilisé des expressions du louchébem dans leur chanson « Zobi la mouche », où ils chantent « Zobi la mouche, zobi la mouche, elle pique, elle suce, elle pompe, elle avale tout ». Cette chanson est devenue un grand succès en France dans les années 80, et a contribué à populariser l’utilisation du louchébem dans la musique française.
Pour aller plus loin
Bien que le louchébem ne soit plus utilisé aussi couramment qu’auparavant, il continue d’être un exemple fascinant de la façon dont les groupes professionnels développent des langages et des cultures qui leur sont propres. Bien que la langue soit toujours connue et appréciée de certains bouchers, elle a perdu beaucoup de son importance au fil des ans, en grande partie à cause des changements dans le secteur de la boucherie et dans la société en général.
Cependant, certains voient un potentiel dans le louchébem pour être utilisé de manière plus créative et ludique. Il est par exemple possible d’envisager des initiatives pour enseigner le louchébem aux jeunes générations de bouchers, dans le cadre d’un projet de sauvegarde de la culture bouchère. Certaines écoles de boucherie en France enseignent encore le louchébem à leurs étudiants, même s’il ne s’agit plus d’un élément essentiel de la formation.
En outre, le louchébem pourrait être utilisé dans des projets artistiques, comme des pièces de théâtre, des films, ou des chansons. Cette langue secrète, avec son caractère humoristique et imagé, pourrait offrir des possibilités créatives intéressantes pour les artistes qui cherchent à donner une touche originale et ludique à leurs œuvres.
R.C.