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Que signifie « poser un lapin » ? Définition & origine de l’expression

« Poser un lapin » est une expression bien connue du langage courant, qui signifie ne pas se rendre à un rendez-vous sans prévenir, laissant l’autre personne attendre en vain. Si elle prête parfois à sourire dans les conversations informelles, elle traduit en réalité un phénomène relationnel universel : celui de l’attente frustrée, de l’engagement brisé. Son origine, sa symbolique et ses usages dans la littérature, les arts ou encore la culture numérique, offrent un terrain d’exploration riche sur le plan linguistique, historique et socioculturel.

Origine étymologique et évolution historique

L’expression « poser un lapin » trouve ses racines dans le langage populaire de la fin du XIXe siècle. À cette époque, le verbe « poser » signifiait déjà « laisser, abandonner quelqu’un » dans certains contextes argotiques. L’association avec le mot « lapin » apparaît dans un registre spécifique : celui des relations tarifées. Ainsi, comme le rapporte le Dictionnaire érotique moderne (1883) de Jean-Louis-Auguste Commerson, « poser un lapin » consistait pour un homme à profiter de la compagnie d’une femme — souvent une prostituée — sans lui verser la somme convenue. Ce comportement était perçu comme une forme d’arnaque ou de désengagement, à la fois mesquin et lâche, et s’est rapidement ancré dans les représentations populaires.

Dans l’argot du Paris de la Belle Époque, le terme « lapin » était d’ailleurs déjà connoté. Selon Alfred Delvau, auteur du Dictionnaire de la langue verte (1866), il désignait aussi un jeune homme ou un individu peu fiable. Il portait parfois la signification d’un bon à rien ou d’un fuyard. Ce double emploi – à la fois l’homme qui fuit et l’homme qui déçoit – a contribué à la fortune de l’expression. Elle s’est progressivement détachée de son origine sexuelle pour désigner toute situation où une personne se rend absente à un rendez-vous, sans prévenir, ni se justifier.

Ce changement de sens s’est consolidé dans les années 1880-1890, période à laquelle les dictionnaires d’argot et les recueils de locutions populaires notent l’expression dans son sens moderne. Le Dictionnaire général de la langue française de Larive et Fleury (1890) la recense avec la définition suivante : « Manquer volontairement à un rendez-vous. » Elle devient alors une locution autonome, comprise sans référence explicite à l’origine tarifée ou érotique. Cette généralisation coïncide avec l’évolution des mœurs, où les rendez-vous amoureux, galants ou sociaux prennent de l’importance dans la culture bourgeoise et urbaine.

Quant au choix du lapin, il est loin d’être fortuit. L’animal a longtemps été associé à la rapidité, à la furtivité et à une certaine lâcheté. Dans le folklore comme dans les fables, il symbolise souvent la fuite face au danger ou à l’engagement. On le retrouve chez La Fontaine, notamment dans « Le Lièvre et la Tortue », comme figure de la précipitation frivole. Le lapin devient ainsi un archétype de celui qui prend la tangente au dernier moment. Dans le monde rural comme dans l’imaginaire urbain, il incarne celui qui court, se défile, et reste insaisissable.

La littérature a d’ailleurs participé à enrichir cette image. Dans Alice au pays des merveilles (1865), le personnage du lapin blanc de Lewis Carroll court sans cesse, pressé, anxieux, incapable de se fixer. Bien qu’antérieur à l’usage français de l’expression, ce personnage alimente la symbolique d’un être toujours ailleurs, échappant à toute tentative de rendez-vous structuré. Cette métaphore visuelle a durablement marqué la culture populaire et renforce, rétrospectivement, la dimension figurative de l’expression « poser un lapin ».

Enfin, il faut noter que le succès de l’expression tient aussi à sa construction verbale familière. Elle est directe, imagée et immédiatement compréhensible. Contrairement à d’autres expressions synonymes comme « faire faux bond », plus neutres ou juridiques dans leur ton, « poser un lapin » conserve une forme de théâtralité populaire. Elle fait sourire, mais elle dit beaucoup : elle met en scène la trahison légère, l’échec d’une rencontre attendue, et surtout le silence de celui qui s’éclipse. Cette richesse sémantique explique sa longévité dans la langue française, ainsi que son intégration dans la culture contemporaine, bien au-delà de son origine argotique.

Du point de vue sociolinguistique, « poser un lapin » appartient à la grande famille des expressions idiomatiques qui traduisent des comportements sociaux devenus fréquents et reconnus. L’expression met en lumière une tension entre deux pôles : l’attente de l’autre, et la liberté individuelle de se désengager. Dans une société marquée par la multiplication des interactions, notamment à travers les applications de rencontres ou les échanges numériques, cette tension est exacerbée. Ainsi, « poser un lapin » trouve un écho contemporain dans des termes comme « ghoster », importé de l’anglais, qui désigne une absence brutale et silencieuse, souvent sans aucune explication.

Du point de vue des rapports humains, refuser de venir à un rendez-vous peut être perçu comme un acte d’évitement. Il traduit parfois une peur de l’affrontement, une difficulté à assumer ses intentions ou simplement un désintérêt pour l’autre. Dans tous les cas, l’acte n’est jamais neutre : il produit une charge émotionnelle forte pour celui ou celle qui attend, ce qui explique pourquoi l’expression continue de susciter des réactions, entre rire et vexation, légèreté et douleur.

Une présence dans la littérature, l’art et la culture populaire

Le motif de l’attente déçue, de l’absence à un rendez-vous, dépasse largement l’usage littéral de l’expression « poser un lapin ». Dans la littérature comme dans les arts visuels ou dramatiques, il devient un ressort symbolique puissant pour interroger les promesses non tenues, l’amour incertain, la fuite ou l’évitement. On le retrouve dès l’Antiquité, dans les mythes où la parole donnée s’efface avec l’éloignement. Ainsi, dans L’Énéide de Virgile, Didon attend Énée, qui promet de rester mais part en mer sans adieu véritable. Ce départ silencieux, lourd d’implications tragiques, préfigure bien des récits d’abandon ultérieurs, où l’absence devient plus signifiante que la présence elle-même.

Plus tard, au XIXème siècle, de nombreux écrivains romantiques se saisissent de ce thème. Dans les romans épistolaires comme La Nouvelle Héloïse de Rousseau, ou dans Les souffrances du jeune Werther de Goethe, l’absence de réponse, le rendez-vous différé ou manqué, deviennent les catalyseurs d’un drame intérieur profond. Ce n’est pas tant le « lapin » au sens comique que la suspension du lien, l’impossibilité de rejoindre l’autre qui crée le trouble. Ces œuvres témoignent d’un romantisme blessé où l’attente devient passionnelle, voire destructrice.

Dans le domaine théâtral, le thème de la rencontre avortée est récurrent, notamment dans les pièces de boulevard du début du XXème siècle, où les personnages manquent leurs rendez-vous, provoquant une série de malentendus souvent burlesques. Des dramaturges comme Georges Feydeau, Sacha Guitry ou Eugène Labiche excellent dans l’art de créer des quiproquos à partir de ce simple point de départ : l’un est là, l’autre non. Cette mécanique du vide alimente le comique de situation, mais pointe aussi, en creux, l’angoisse de l’infidélité, de la solitude ou du refus.

Dans la musique, le thème du rendez-vous manqué s’incarne dans des chansons qui ne citent pas toujours l’expression, mais en reprennent l’essence. Le titre Le rendez-vous de Georges Brassens (1952) évoque un amoureux abandonné sur un quai de gare, tandis que Barbara, dans Dis, quand reviendras-tu ? (1964), chante l’attente amoureuse teintée d’amertume. Ces ballades montrent que l’absence peut devenir un personnage à part entière, façonnant la mémoire et le désir. Elle est souvent présentée comme un miroir du manque de courage ou d’amour véritable chez celui qui ne vient pas.

Dans l’univers des arts plastiques, l’idée du rendez-vous fantôme se traduit par l’image du vide : une chaise vide, une horloge arrêtée, une porte entrouverte. L’artiste Sophie Calle a notamment exploré ce motif dans son œuvre Prenez soin de vous (2007), où elle expose une lettre de rupture reçue par mail, analysée par 107 femmes. Si le mot « lapin » n’apparaît pas, l’essence de l’absence inexpliquée, du non-retour, est pleinement convoquée. Le silence y est décortiqué, mis en scène comme une forme moderne de fuite.

La culture populaire n’est pas en reste : Dans les jeux vidéo, les fictions interactives ou les séries contemporaines, les personnages « qui ne viennent pas » sont souvent à l’origine de rebondissements narratifs majeurs. Dans la série This Is Us, le motif de la personne attendue, qui ne se présente jamais, est traité avec gravité émotionnelle, révélant l’impact psychologique durable de ces absences non dites. Les comédies dramatiques modernes, comme Master of None ou Fleabag, utilisent également l’attente du partenaire comme ressort scénaristique, mais avec un traitement plus ironique, soulignant les contradictions de la vie affective contemporaine.

Enfin, dans la culture numérique, les mèmes et les contenus humoristiques autour du thème du « lapin posé » foisonnent. Ils illustrent la banalisation de l’absence non justifiée à l’ère des textos lus mais ignorés. Ce traitement par l’image satirique – gif de lapin qui disparaît dans un trou, message « vu » sans réponse – reflète une époque où l’ironie prend le pas sur l’amertume, mais où l’expérience de l’abandon demeure bien réelle. L’humour devient alors un outil d’appropriation et de résilience face à la fragilité des engagements modernes.

Entre humour, douleur et psychologie relationnelle

Dans la culture populaire, « poser un lapin » est fréquemment abordé avec légèreté. Les humoristes, les séries télévisées et les bandes dessinées s’emparent de cette situation pour en faire un ressort comique récurrent. L’attente futile, le quiproquo, la préparation exagérée du rendez-vous qui n’aura jamais lieu — tout cela devient matière à rire. On pense à des sketches cultes comme ceux de Muriel Robin ou de Florence Foresti, où les personnages sont confrontés à leur propre déception, parfois avec colère, parfois avec autodérision. L’expression fonctionne ici comme un miroir de nos espoirs déçus, atténués par l’ironie et l’exagération.

Mais derrière le rire se cache souvent une expérience émotionnelle plus complexe. Dans le champ de la psychologie, le fait d’être ignoré ou délaissé sans explication est considéré comme une forme de violence relationnelle silencieuse. L’expression populaire « poser un lapin » peut alors être vue comme une minimisation sociale d’un comportement ressenti comme douloureux. Le psychologue américain Kipling D. Williams, spécialiste de l’ostracisme, a démontré que l’exclusion sociale non verbalisée — ne pas répondre, ne pas venir — active les mêmes zones cérébrales que la douleur physique. Être abandonné sans mot dire, même dans un cadre apparemment banal, peut donc engendrer un stress psychologique réel, un sentiment de rejet, voire d’humiliation sociale.

Ce comportement relève parfois de ce que les psychologues appellent « l’agression passive ». Il ne s’agit pas d’un conflit frontal, mais d’un refus implicite de l’échange. La personne qui « pose un lapin » décide unilatéralement de rompre la communication, sans donner à l’autre l’occasion de répondre, de se préparer, ou même de comprendre. Ce silence choisi agit comme une fermeture brutale de la relation, qui peut entraîner chez la personne délaissée un mélange de doute de soi, de colère rentrée, et d’incompréhension. Cela résonne avec des notions de psychologie cognitive comme la dissonance affective : le fait de ne pas savoir pourquoi l’on a été évité génère un inconfort que le cerveau tente de résoudre en imaginant des explications, parfois erronées, qui accentuent la douleur.

Sur un plan relationnel plus large, cette attitude interroge la question du consentement à l’engagement. En choisissant de ne pas venir à un rendez-vous, sans prévenir ni expliquer, la personne exerce un pouvoir invisible mais profond : Celui de décider de la suite d’un lien sans échange mutuel. Cela rompt le contrat implicite de réciprocité qui régit la plupart des interactions sociales. Comme le rappelle le sociologue Erving Goffman dans Les rites d’interaction (1967), toute relation, même éphémère, repose sur un minimum de reconnaissance mutuelle. Refuser de se présenter, c’est refuser cette reconnaissance.

Et pourtant, il arrive que ce comportement ne soit pas mû par la malveillance, mais par l’évitement. Certains individus, confrontés à l’anxiété sociale, à la peur de déplaire ou à la crainte d’un affrontement, préfèrent fuir plutôt qu’assumer un refus. Poser un lapin devient alors un mécanisme de défense — dysfonctionnel certes, mais révélateur d’un malaise plus profond face à la confrontation ou à l’intimité. C’est ce que met en lumière la psychothérapeute Isabelle Filliozat dans ses travaux sur l’intelligence émotionnelle : éviter une situation inconfortable peut apparaître comme un soulagement à court terme, mais cela laisse des traces affectives durables chez l’autre, et parfois chez soi.

En somme, derrière l’expression légère et l’humour qu’on lui associe souvent, se cache une réalité psychologique et relationnelle bien plus dense. « Poser un lapin » n’est pas seulement un acte anodin : c’est un révélateur silencieux de nos limites émotionnelles, de nos difficultés à dire « non », ou à affronter la vérité d’un lien. Cette expression populaire, en apparence frivole, soulève des questions fondamentales sur la manière dont nous gérons la présence et l’absence dans nos relations — et surtout, ce que nous choisissons de dire, ou de ne pas dire, à l’autre.

Conclusion : Poser un lapin est une expression toujours vivante et révélatrice

Si « poser un lapin » fait partie du patrimoine idiomatique, elle reste étonnamment moderne. Sa vivacité dans la langue, sa capacité à se décliner dans de multiples contextes – amoureux, amicaux, professionnels – et sa présence constante dans la culture populaire, témoignent de sa puissance évocatrice. Elle incarne une vérité sociale que chacun peut reconnaître : celle du rendez-vous manqué, de l’attente sans issue, de l’instant suspendu entre promesse et abandon.

En explorant cette expression, on découvre non seulement une histoire linguistique et culturelle, mais aussi une leçon sur les fragilités de nos engagements. « Poser un lapin », ce n’est pas seulement faire faux bond : c’est toucher à ce qu’il y a de plus intime dans la relation humaine — la confiance, l’espérance, et parfois, la solitude.